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     Numéro 10 

LE DIABLE AU CŒUR

    De l’amour on a tout dit et ce n’est pourtant pas fini. Si on parle d’amour tant et plus, c’est essentiellement pour tenter de réduire par la parole ce que la parole a introduit de désordre en matière de rapport entre les sexes, chez les êtres parlants. Et c’est bien parce qu’aucune parole ne touche adéquatement à ce but qu’on n’a justement pas fini d’en parler.
    Encore et encore, ce sentiment trop humain fait de nos vies un enfer ou le paradis sur terre, c’est selon. Il existe bien des partenaires à aimer et dont on cherche à se faire aimer : homme ou femme, amant ou ami, enfants ou parents, Dieu ou saints, frère ou sœur, vivant ou mort, ou encore, metteur en scène pour l’acteur, public pour l’artiste, psychanalyste pour l’analysant, éditeur pour l’écrivain, enseignant pour l’étudiant... et réciproquement.
    Quel qu’en soit le prix à payer et le partenaire qu’on se choisit, l’amour exige le signe d’une réciprocité. C’est pourquoi le sujet parlant qui recherche l’amour est prêt aux plus grands sacrifices pour obtenir de l’Autre n’en serait-ce qu’un signe. Les sombres kamikazes qui officient au nom de l’amour de Dieu portent à l’extrème ce trait repérable chez les amants éperdus, prêts au sacrifice de leur vie pour s’assurer d’être aimés. Roméo et Juliette sont sans doute, plus que tout autre, deux figures allégoriques du sacrifice que l’amour appelle. Ils portent au paradigme ce point : l’amour peut se faire ravage et faire signe, tout autant que la haine, d’une passion de l’ignorance décidée.
    Mais il existe aussi une forme d’amour qui fait du désir sa cause finale et efficiente (comme s’exprimerait Aristote), un amour articulé au désir, un amour qu’il fait bon éprouver et le cas échéant faire éprouver, un amour articulé au risque, au pari, un amour qui engage pour le meilleur. Car si l’amour s’éprouve par delà le bien et le mal, il a une dimension éthique dans l’exacte mesure où il n’existe d’éthique que du désir, comme Jacques Lacan l’a fait valoir avec force.
    Puisqu’il faut pourtant bien rendre compte de ce qu’un seul mot désigne ces deux formes d’amour aux caractères antagoniques et aux effets opposés, considérons que l’amour est le sentiment le plus à même de révéler, en même temps qu’il le recouvre, le hiatus fondamental qui caractérise le rapport entre les sexes, foncièrement incommensurables l’un à l’autre, et voués de ce fait à ne jamais pouvoir faire rapport. Si l’amour qui mène au sacrifice prétend combler ce hiatus irréductible, l’amour mu par le désir en tient compte et s’en arrange. L’amour peut recouvrir et tarir le désir, ou bien au contraire le promouvoir : voilà bien ce qui en fait le sel ou le poison. Et s’il y a bien deux grandes sortes d’amour, chacun les éprouve toutes deux dans des proportions qui seules varient.
    Pour parler d’amour sous toutes ses formes, ce numéro 10 du Diable probablement a rencontré certaines étoiles du cinéma français, des artistes que nous courons voir interpréter pour nous les histoires d’amour les plus heureuses et les plus désespérées, les plus simples et les plus sophistiquées, encore et encore. Et l’on veut croire à ces histoires, et l’on veut croire que ceux qui les interprètent savent spécialement y faire avec l’amour et ses tracas. L’époque suppose ainsi aux acteurs un tel savoir sur le sujet que les magazines people font volontiers leur Une des amours réelles de certains d’entre eux. Mais ici, pas de gossip : les acteurs nous parlent d’eux et nous en apprennent sur leur représentation de l’amour, c’est-à-dire sur la façon dont ils se débrouillent avec le malentendu fondamental qui régit les rapports humains.
    Le Diable s’empare donc ici de ce thème forever actuel sous les projecteurs de Denis Podalydès, Léa Seydoux, André Wilms, Charlotte Rampling, Anne-Lise Heimburger, Philippe Caubère, Valeria Bruni-Tedeschi, Eric Caravaca, Amira Casar, Dominique Blanc, Arthur Igual et Marina Hands. Le dossier de la rédaction est par ailleurs consacré à la façon dont on aime à l’aube du XXIe siècle. Car on n’aime pas aujourd’hui comme on aimait hier. L’époque imprime sa marque jusque dans ce sentiment existentiel. Quant aux chroniques, nous y retrouvons le metteur en scène Matthias Langhoff dans La théâtrale, le réalisateur Patrice Leconte dans l’Entretien dans le tumulte, le Kremlin dans L’internationale, The Artist dans Derrière l’écran, tandis que Noam Assayag chante l’amour dans l’Apoème. De quoi en apprendre de belles sur le nerf de l’amour qui mène la danse de la comédie humaine..

Anaëlle Lebovits-Quenehen

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